Vous ne devriez pas pratiquer pour avoir une bonne pratique, mais plutôt pour garder une stabilité en vous. Pratiquez dans la joie sans vous soucier que ce soit
R. SHARATH JOIS
« bien » ou pas. Parfois, certaines postures ne seront pas possibles, mais lorsque vous acceptez le bon et le mauvais alors tout devient égal pour vous, c’est cela le yoga.
LES HUIT MEMBRES DE L’ASHTANGA YOGA
Ashtanga (les huit membres ou huit chemins ) représentent les huit principes philosophiques que Rishi Patanjali a décrits de manière claire et linéaire dans Yoga Sutras. D’après lui, si nous nous attelons à suivre ces principes, nous sommes en marche sur le chemin de l’éveil spirituel. Pour cela, nous devons travailler à nous défaire des habitudes physiques et mentales qui ont tendance à affaiblir notre force vitale, notre énergie. Lorsque nous sommes libérés de ce qui inhibe la circulation du prana (l’énergie de vie omniprésente), celui-ci chemine sans entraves à travers les centres énergétiques du corps et purifie notre être. Nous sommes alors disposés à atteindre le but suprême du yoga : l’état d’unité ou la non-dualité universelle. Pattabhi Jois a nommé six obstacles sur le chemin de cette réalisation : kama (le désir), krodha (la haine), moha (l’illusion), lobha (l’avidité), mada (l’envie), matsarya (la paresse).
La tradition de l’ashtanga yoga, selon Pattabhi Jois, veut que l’aspirant yogi commence par ce que Patanjali a défini comme le troisième membre du yoga : asana (la posture). Une fois que cette étape de la pratique des postures est fermement établie, l’élève peut prétendre passer à l’étape du quatrième membre : pranayama (le travail sur le souffle et la respiration). Selon Pattabhi Jois, une fois que les troisième et quatrième membres sont réalisés, les deux premiers (yama et niyama) coulent de source. Les textes sacrés de la Maitri Upanishad suggèrent également cet ordre différent des six membres (sadanga), considérant que l’élève n’est pas prêt à aborder yama et niyama tant que son corps et son esprit n’ont pas été renforcés, nettoyés et équilibrés.
Les quatre premiers membres du yoga sont considérés comme des « pratiques externes », dans le sens où elles concernent essentiellement le niveau physique du corps et nos interactions avec les autres et notre environnement. Les trois autres membres sont des pratiques dites « internes » parce qu’elles régissent la relation que nous entretenons avec notre « moi intérieur ».
Comme pour toutes les autres formes de yoga, il est essentiel d’appréhender ces
étapes sous la supervision d’un gourou ou d’un enseignant expérimenté. Lorsqu’on étudie les postures, la meilleure façon d’éviter de se blesser, c’est de travailler avec un professeur. De la même façon, quand on explore la théorie et la philosophie yogiques, ainsi que les pratiques méditatives, la voie la plus sûre pour prévenir tout dommage mental, sera d’être guidé par un enseignant digne de confiance.
Une fois que l’élève aura intégré les quatre premiers membres du yoga, aussi bien dans son corps que dans son mental, il sera enfin prêt pour la compréhension des quatre derniers. Ceux-ci concernent un niveau très subtil de l’être et activent les nadis (les canaux énergétiques) et les chakras (les carrefours énergétiques). Selon Pattabhi Jois, ces quatre membres « internes » couplés avec le cinquième (pratyahara : le retrait des sens), favorisent la capacité de perception de Brahman dont l’essence est infinie.
Afin de pouvoir intégrer et percevoir les effets profonds que produit la pratique du yoga dans notre vie de tous les jours, nous avons besoin d’un corps sain, d’un esprit apaisé et d’une sensibilité éveillée. Tout ceci pour dire qu’il y a un risque à s’aventurer seul sur ces chemins. Apprendre à partir d’un livre, ou avec un professeur non expérimenté peut vraiment provoquer des dangers psychologiques irréversibles, ou du moins très difficiles à soigner. Une méditation mal guidée peut être nuisible.
YAMA : LE PREMIER MEMBRE
Il s’agit-là de comportement, d’éthique et de contrôle de soi. L’élève en yoga doit apprendre à s’épanouir dans la paix et le respect de lui-même, des autres et de tout être vivant. Pour contrer l’individualisme qui a tendance à développer l’indifférence à autrui, l’esprit des yamas nous enseigne que chacun d’entre nous n’est qu’une simple entité de l’univers qui nous contient tous autant que nous sommes. Lorsque nous suivons les règles universelles du yama, non seulement nos vies personnelles s’améliorent, mais nos interactions avec notre entourage subissent par ricochet une influence positive. Cela fonctionne également au niveau communautaire, sociétal et mondial puisque tout est connecté dans notre système humain.
Le chemin des yamas, j’ose le dire, est aussi un défi lancé à chaque aspirant yogi. Cinq règles morales sont à observer dans nos relations à autrui : ahimsa (la non-violence), satya (l’honnêteté et la vérité), atseya (ne pas voler), brahmacharya (utiliser l’énergie avec sagesse), aparigraha (la non-possessivité et la modération). Selon Pattabhi Jois, il est extrêmement difficile de suivre les yamas et les niyamas (les préceptes et les commandements) scrupuleusement et sans écarts. À la longue, c’est la pratique du yoga qui nous aidera à mieux les comprendre et à les appliquer.
1. Ahimsa
Pratiquer ahimsa c’est respecter toute vie à travers une attitude non-violente. C’est accepter toutes les différentes formes de vie : les religions, les couleurs de peau, l’apparence, le statut social, la classe sociale, etc. Les enseignements d’ahimsa impliquent le pardon, l’humilité et l’urgence à installer un climat d’apaisement autant en nous-mêmes que dans notre environnement. Ahimsa c’est aussi la gentillesse : on ne blesse pas les autres, c’est-à- dire les humains, les animaux et les éléments naturels, directement ou indirectement avec des mots, des pensées ou des actes. Un bon exemple de l’action d’ahimsa, c’est la façon dont Mohandas Karamchand Ghandi, le Mahatma Gandhi a guidé sans violence le peuple indien jusqu’à son indépendance en 1947. La pratique des asanas (postures) est une bonne occasion d’observer notre relation à la non-violence. Avancer dans les postures physiques sans violence mais au contraire avec humilité, facilité et capacité à se pardonner et à pardonner aux autres est d’une extrême importance. C’est ce qui fera de votre pratique une aventure toujours pleine de sens, et de sécurité.
2. Satya
Satya désigne la sincérité dans les pensées, les mots et les actes. Satya implique et contient la gentillesse et la non-violence d’ahimsa, mais écarte tout compromis avec le mensonge. Le fait de taire la vérité, ou de s’autoriser un petit mensonge finit toujours par nous blesser ou blesser les autres. La mise en œuvre de satya légitimera nos paroles, nos pensées et nos actions.
Durant la pratique, il s’agira d’accepter la réalité de l’état de son corps, de sa propre capacité à progresser dans chaque posture. Le principe de l’ashtanga yoga veut que l’élève n’aborde pas la posture suivante d’une série tant qu’il n’est pas capable de
réaliser toutes celles qui précèdent, avec fluidité et une respiration calme et profonde. Soyez honnête avec vous-même pour évaluer où vous en êtes dans une série et quel travail vous êtes prêt à mettre en œuvre. En suivant l’esprit de satya, on évite les douleurs physiques inutiles et le processus se fait dans la joie.
3. Asteya
Atseya désigne le fait de ne pas voler, qui semble simple au demeurant mais qui recouvre une autre réalité dans la pratique du yoga. Tout comme on ne doit pas voler le bien matériel d’autrui, on ne doit pas tirer parti des autres : user leur énergie, profiter de leur gentillesse, de leurs pensées ou de leurs sentiments. Atseya implique la gentillesse, l’honnêteté et la générosité. On ne gagnera pas la confiance de quelqu’un pour ensuite la trahir. Même l’envie est à l’opposé du principe d’atseya, puisqu’elle a pour origine le désir de posséder ce que l’autre a et que l’on ne possède pas.
Si vous enviez un autre élève, pour son aisance dans les postures et son avancement dans une série, au lieu de rester dans la jalousie, demandez-vous plutôt comment vous pourriez apprendre de lui en observant, par exemple, sa capacité de concentration ou son engagement dans la pratique. Ramenez votre concentration sur la respiration et prenez du plaisir à la méditation en mouvement. Faites l’expérience de la joie qui provient d’une attitude positive et déployez votre reconnaissance pour tous les petits pas en avant effectués dans la pratique, les vôtres et ceux de tous les autres pratiquants.
4. Brahmacharya
On traduit souvent brahmacharya par le célibat ou l’abstinence sexuelle. Selon la philosophie yogique, les fluides sexuels du corps humain font partie des sept dhatus et nous nous devons de respecter ces énergies. Ces fluides contiennent une précieuse énergie vitale qu’il ne faut pas dilapider au risque d’affaiblir le corps et l’esprit. Quand ces énergies sont conservées, le corps se renforce et l’esprit reste clair.
Suivant les enseignements traditionnels, il est impossible de mener une vie de famille et une vie sexuelle, si on veut accroître sa force vitale et accéder aux vérités essentielles. Lorsqu’on étudie l’histoire de l’ashtanga yoga, on se rend compte que les principaux gourous de cette lignée étaient pour la plupart mariés et pères de famille. Ils ont appliqué les principes de brahmacharya sans entrer dans l’abstinence absolue. Les sutras de Patanjali nous enseignent que brahmacharya est également l’expression d’un respect pour la puissance contenue dans l’acte sexuel et l’énergie vitale véhiculée par les fluides sexuels. Le but ultime de brahmacharya, c’est l’intériorité et la communion avec l’esprit universel et compatissant de Brahman.
La philosophie indienne distingue quatre phases de l’existence humaine (ashrama). La première phase, brahmacharya, est consacrée à l’étude et au célibat. C’est un temps d’apprentissage, avant l’âge du mariage. Elle est suivie de grihastha : la vie domestique et de famille, du mariage et du travail, avec la notion d’implication dans le monde matériel. Ensuite vient la vieillesse et la retraite dans un lieu d’ermitage. On quitte la vie mondaine pour se retirer en soi : c’est vanaprastha. La phase ultime, sannyasa, est celle du renonçant : il s’agit de s’adonner à la seule vie de l’esprit et de se défaire de ses possessions pour se consacrer au divin. Il est toutefois possible, pour celui qui préfère l’état de brahmacharya, de continuer à vivre selon ce mode sans évoluer vers les autres phases de vie.
Dans son livre Yoga Mala, Pattabhi Jois donne des conseils aux couples monogames désireux de suivre les règles de vie de brahmacharya :
1. Le meilleur moment pour les relations sexuelles se situe entre le coucher et le lever du soleil (durant la journée, cela occasionnera un affaiblissement de l’énergie vitale) et entre le quatrième et le seizième jour du cycle de la femme (période de fertilité où son taux d’œstrogènes est le plus élevé).
2. Selon la tradition indienne, on ne doit pas avoir de relations sexuelles hors du mariage. Dans le monde occidental, cette règle s’étend aux compagnons de vie et à tous ceux qui sont engagés dans une relation sérieuse. Il est dit que même les pensées sexuelles envers quelqu’un d’autre que son partenaire pourront affaiblir le bindu (la force vitale).
3. Les jours de nouvelle lune ou de pleine lune, il est déconseillé d’avoir des relations sexuelles, d’entreprendre une activité nécessitant une implication, de la concentration et des émotions fortes, de voyager en avion, d’avoir un rendez-vous de travail important ou encore de pratiquer intensivement le yoga.
4. L’honnêteté et la justesse (dharma), la prospérité et l’intention (artha), le plaisir émotionnel ou corporel (koma) doivent être équilibrés en chacun.
5. Le fait de garder à l’esprit la pensée du Soi, de l’être absolu, même pendant l’acte sexuel, amène immanquablement à l’état de brahmacharya. Cet état augmente la force vitale et la connexion avec le divin.
Afin de vous disposer à percevoir brahmacharya lors de votre pratique des postures de yoga, tournez-vous vers l’intérieur de vous-même et observez toutes les sensations dans votre corps. Pour ne pas dévier votre pratique de yoga de son but premier, optez pour une tenue vestimentaire décente et confortable. Si à un moment ou l’autre durant le cours, vous vous sentez attiré par quelqu’un, revenez à votre intériorité, aux dristhis (concentrations du regard), à la respiration et à la méditation dans le mouvement.
5. Aparigraha
Aparigraha désigne le fait de ne pas prendre, ni de chercher à retenir ou saisir quelque chose. Par extension, cela veut dire aussi relâcher et abandonner. Moins nous perdrons de temps avec les illusions du monde extérieur, plus nous en disposerons pour rencontrer notre intériorité et développer notre spiritualité et notre être physique. Quand nous cultivons aparigraha dans nos vies, nos pensées, nos paroles et nos actions se modèrent. Spontanément et sans regrets, nous nous désintéressons de l’« avoir » et de tout ce qui est inutile dans nos vies. Nous cessons de désirer infiniment et acceptons simplement et avec reconnaissance ce qui nous est dû. Aparigraha nous incite de même à éviter les plaisirs qui finissent par nous nuire.
La sagesse contenue dans les enseignements d’aparigraha nous aide clairement dans la pratique du yoga. Il s’agit de progresser avec patience et modération. Vouloir aller trop vite, faire trop de postures ou commencer le pranayama ou la méditation sans être prêt, constitue l’obstacle majeur. On peut aussi parfois surestimer son niveau et mal exécuter une posture. Dans une posture ou un pranayama, il s’agit d’expérimenter la détente et le lâcher-prise plutôt que la volonté d’y arriver. Plus on s’attache à réussir une posture, moins celle-ci aura de chance de devenir une occasion d’ouverture et d’approfondissement pour le corps.
NIYAMA: LE SECOND MEMBRE
Les niyamas sont une description des lois universelles qui conditionnent la force intérieure et la capacité d’introspection de chacun. Ils comprennent cinq règles qui concernent le nettoyage interne et externe. Il s’agit de shaucha (la pureté), santosha (le contentement), tapas (l’autodiscipline et l’austérité), svadhyaya (l’étude individuelle des écritures sacrées), ishvarapranidhana (l’abandon du Soi au divin ou à Dieu).
1. Shaucha
Shaucha se réfère à la pureté interne et externe. Bahir shaucha concerne la propreté du corps physique. La propreté nécessaire autour de la pratique des asanas : le corps, les vêtements, le tapis. S’agissant de notre transpiration pendant et après la pratique, la tradition indienne nous invite à nous masser le corps avant que la transpiration ne s’évapore, afin que les sels minéraux qu’elle contient pénètrent dans la peau et se réintroduisent dans la circulation sanguine. Plus encore, il est conseillé d’attendre au moins quinze minutes après la pratique, avant de se doucher ou de prendre un bain.
Il s’agit à nouveau de permettre au corps de réutiliser cette transpiration. Antah saucha (pureté interne) concerne le nettoyage des impuretés mentales profondément enracinées (chittamala) et des pollutions (dukha) de l’esprit.
2. Santosha
Santosha désigne l’état de contentement profond, quelles que soient les circonstances particulières de vie. Ceci ne peut avoir lieu que lorsqu’on est capable de contempler le Soi, la plus haute instance spirituelle, à l’intérieur de soi-même. Santosha apparaît également lorsque même les erreurs, les déceptions et le désespoir parviennent à nous contenter, parce qu’ils contiennent des enseignements que nous avons besoin de reconnaître pour pouvoir grandir et apprendre sur nous- mêmes. Pattabhi Jois avait l’habitude d’illustrer santosha ainsi : « Chaque jour est un bon jour, chaque moment, un bon moment. »
3.Tapas
Tapas signifie l’exigence envers soi-même et l’autodiscipline, en particulier pour les techniques de nettoyage et de purification.
Tap veut dire chaleur et dans la vision patanjalique des huit étapes de l’ashtanga yoga, la chaleur est générée pour brûler les impuretés du corps et de l’esprit ainsi que les empreintes karmiques de notre conscience. Le but de ces pratiques est d’amener le corps et l’esprit à un fonctionnement optimal. S’engager dans tapas, c’est faire ses asanas et son pranayama tous les jours. C’est aussi s’alimenter simplement, d’une nourriture végétarienne pure et conforme à ahimsa (la non-violence envers les autres êtres vivants).
4. Svadhyaya
Il s’agit de l’observation et de l’étude de soi-même à travers les textes sacrés, les mantras (japa-yoga), les shlokas et les sutras. Pour que les mantras agissent vraiment, il est conseillé d’apprendre leur juste prononciation auprès d’un maître.
5. Ishvarapranidhana
C’est le fait de s’en remettre entièrement, en pensée et par l’action, à la transcendance, sans attendre aucun bénéfice en retour. En accompagnant l’action d’ishvaropranidhana, l’élève participe au nettoyage des nadis les plus subtils dans le centre énergétique du cœur. Le prana peut alors circuler librement dans tous les carrefours énergétiques jusqu’au centre de la tête Brahmarandhra.
ASANA : LE TROISIEME MEMBRE
L’ashtanga yoga est souvent décrit comme une pratique intense et puissante qui requiert beaucoup de maîtrise corporelle et mentale. Les asanas développent un corps pur, fort et léger, condition indispensable à tout épanouissement spirituel, puisqu’il est beaucoup plus difficile d’avoir l’esprit apaisé lorsqu’on est faible ou malade. Les asanas débarrassent le corps et l’esprit des maux qui l’encombrent, elles libèrent les organes et le système nerveux des toxines. Une pratique assidue réalisée avec une intention juste permettra un développement positif à tous les niveaux. Pour certains, les asanas sont juste un support pour l’exercice physique, mais lorsqu’on les pratique en connaissant les textes traditionnels et avec une conscience de la respiration et de la concentration, ils révèlent leur essence spirituelle profonde. Si on se livre au pranayama, à la méditation et aux asanas en appliquant la technique juste du vinyasa, l’esprit peut s’apaiser et la réalisation du Soi devient possible.
Le prana (la force de vie) s’équilibre à travers ida et pingala nadis (situés sur les côtés droit et gauche de la colonne vertébrale). Ida nadi, celui de gauche, qui est aussi appelé tha ou candra, est lié à la lune. Pingala nadi, aussi nommé ha ou sourya, correspond à l’astre solaire. Le mot hatha qui est formé de ces deux syllabes nous donne une précieuse indication sur la finalité du hatha yoga. Il s’agit d’unifier ces deux influences lunaire et solaire dans la pratique. C’est cela qui permet d’atteindre l’état méditatif ultime aussi nommé raja yoga. Seul le travail des asanas nous permet de construire un corps qui sera comme un temple abritant notre âme. Un corps fort, souple et sain à l’intérieur duquel le Soi peut se cultiver en paix, à l’écoute du cœur.
L’ashtanga yoga comporte six séries d’asanas. Chaque série as pour but de nettoyer et de purifier le corps et l’esprit, mais selon des modalités différentes. En plus des asanas, d’autres techniques viendront développer la qualité de la pratique sur le long terme :
• La respiration sonore (son glottique du passage de l’air dans la gorge) qui par sa profondeur génère de l’énergie à l’inspiration (puraka) aussi bien qu’à l’expiration (rechaka).
• Le système de comptage du vinyasa qui lie postures et respiration dans le but de créer de la clarté dans le mental ainsi qu’une qualité méditative aux postures.
• Les bandhas qui sont des ligatures à la fois musculaires et énergétiques agissant sur les koshas (différents plans de l’être humain). Ces bandhas allègent et renforcent le corps en dirigeant l’énergie vers certaines régions spécifiques.
• Les drishtis (points de fixation du regard) qui développent notre capacité de concentration.
• Enfin, la méditation (dhyana) qui amène l’esprit vers l’intérieur.
L’enchaînement de postures présenté dans la première série, connue en sanskrit sous le nom de yoga chikitsa ou roga chikitsa (roga : la maladie, chikitsa : la thérapie). Cette séquence de postures s’emploie à purifier l’organisme, prévenir les maladies et renforcer globalement le corps. En d’autres termes, le corps retrouve son état originel équilibré, avec force, souplesse et détente. La première série soulage aussi les douleurs chroniques, débarrasse le corps de l’excès de graisse et améliore la circulation sanguine. Les organes internes sont nettoyés et l’esprit apprend la concentration.
La seconde série de postures s’appelle communément la série intermédiaire ou nadi shodhana, en sanskrit. Comme il est mentionné précédemment, les nadis sont ces réseaux qui véhiculent l’énergie dans tout le corps, à la fois sur les plans physique et énergétique. Shodana signifiant purification, la série intermédiaire s’occupe de purifier les canaux énergétiques. C’est une action qui concerne le système nerveux mais également d’autres réseaux subtils de nos koshas (différents composants de notre être).
La troisième série d’asanas ou sthira bhaga contient elle-même quatre séries. Ce sont les séries avancées A, B, C, et D. Sthira (stable, complet) bhaga (grâce, chance, opulence) implique l’idée de force et de paix, à l’intérieur de soi comme au plan strictement corporel. Ces séries entraînent le corps et l’esprit à demeurer parfaitement stable et concentré tout en étant détendu. Il s’agit d’allier légèreté et détente avec présence et précision. Ces séries demandent une grande souplesse, de la force, un bon contrôle de la respiration et des bandhas, mais par-dessus tout une concentration absolue.
Le pratiquant doit pouvoir réaliser chaque mouvement, chaque asana et chaque série avec une respiration calme et sans douleur, avant d’envisager de passer à la suite. Si on commence la posture suivante ou la série suivante avant que le corps et l’esprit ne soient prêts, il en résultera une perte de l’énergie acquise pendant la pratique. La motivation nécessaire pour aborder des postures plus difficiles sera également entamée. On peut vraiment perdre les bénéfices de la pratique si on saute une posture difficile ou si on néglige la méthode, et qu’on ne suit pas l’ordre des postures ou le comptage du vinyasa. Puisque chaque série est déjà en soi un défi, s’écarter de la méthode ne fera qu’ajouter des difficultés. Une posture mal exécutée pourra causer des douleurs et ajouter un stress inutile aux muscles, aux nerfs et à l’état mental.
Lorsque l’esprit est apaisé, la posture est juste.
SRI K. PATTABHI JOIS
PRANAYAMA : LE QUATRIÈME MEMBRE
Le pranayama poursuit le processus de purification et d’équilibrage du corps et de l’esprit qui commence avec le travail des asanas. Le prana désigne la force vitale contenue dans tous les éléments. Cependant dans le yoga, où la respiration as un rôle central, le prana désigne l’énergie de l’air qui est véhiculée par le souffle. C’est par vishuddha chakra, le chakra de la gorge qui filtre l’air, que nous respirons et pouvons retenir le prana, contenu dans l’air pur énergisant. Les ayamas, qui signifient « longs », font référence aux exercices dont le but est de faire rentrer le prana à l’intérieur du corps et de le faire circuler. Avec le pranayama il s’agit d’établir un rythme entre inspiration (puraka), expiration (rechaka) et rétention (kumbhaka) tout en installant des bandhas. Il y a trois bandhas principaux : jalandhara bandha, au niveau de la gorge, mula bandha, au niveau du périnée et uddiyana bandha, au niveau abdominal. Certaines techniques de pranayama impliquent la respiration alternée par une narine, puis l’autre. Jalandhara bandha s’utilise uniquement en rétention du souffle avec les poumons pleins, mais jamais dans une posture.
Il y a huit exercices de pranayama dans l’ashtanga yoga (mentionnés dans le Hatha yoga pradipika). Tous ont les mêmes effets bénéfiques, curatifs et de renforcement que les asanas. Cependant, le processus de purification du pranayama concerne plus particulièrement le mental, les nadis et la circulation énergétique subtile dans l’organisme.
Une fois l’esprit apaisé, libéré de ses blocages et énergisé par le prana, le pratiquant pourra apprendre à guider précisément l’énergie jusque dans le sushumna nadi qui est le centre du réseau qui rassemble tous les nadis. La racine de ce centre est située juste au-dessus du périnée dans une région appelée kanda. Cette zone contient trois noeuds énergétiques (granthi traya) qui une fois débloqués permettent la circulation du prana dans le sushumna nadi. Lorsque ceci est rendu possible, le prana peut circuler jusque vers anahata chakra (le chakra de la région du sternum), puis vers sahasrara chakra (situé au sommet du crâne) d’où naît la connexion avec le Soi, l’unité transcendante. À noter que ces états ne peuvent être atteints sans une pratique assidue et rigoureuse.
Selon la tradition de l’ashtanga yoga, il n’est pas question d’aborder le pranayama sans avoir acquis suffisamment de force et de souplesse, ainsi qu’une bonne compréhension des bandhas. Autrement dit, une pratique régulière et suffisante des asanas est le préalable indispensable à toute pratique de pranayama. Certains élèves et mêmes certains professeurs s’approprient des techniques respiratoires découvertes dans des livres et les enseignent. Ceci ne peut en aucun cas être considéré comme le pranayama pratiqué dans la tradition de l’ashtanga yoga, et c’est la raison pour laquelle aucun exercice de pranayama ce sera présenté ici. Seul l’enseignement et la supervision d’un professeur confirmé ou d’un gourou permettent l’apprentissage d’un véritable pranayama.
Durant toute la durée d’une pratique de pranayama, il faut être capable de s’installer, calme et immobile, en padmasana (la posture du lotus), les mains installées en jnana mudra. Au préalable, le corps aura dû être préparé avec les postures de la première série puis de la série intermédiaire (yoga chikitsa et nadi shodhana). Bien entendu, le pranayama s’adresse aussi à ceux qui abordent les séries avancées en conservant un mental apaisé. La pratique des postures prépare le corps à recevoir le prana sans risquer les effets secondaires redoutables, comme des vertiges, des douleurs abdominales, des crampes, des douleurs articulaires ou encore de la confusion mentale et des difficultés de concentration. Dans la pratique du pranayama, le corps
n’est pas engagé dans l’action et la mobilité comme dans les séries de postures. Il doit pouvoir s’immobiliser sans tension et se mettre au diapason de cette technique très subtile de purification.
Lorsque l’élève aura compris les enjeux du pranayama et qu’il en aura éprouvé les bienfaits, il sera prêt pour les étapes suivantes, soit les quatre autres membres (parmi les huit membres du yoga) : pratyahara, dharana, dhyana et samadhi.
PRATYAHARA : LE CINQUIÈME MEMBRE
C’est le premier des quatre membres qui concernent les pratiques internes : antahkarana. Il s’agit du retrait des sens et de la capacité à développer un niveau de contrôle du mental plus profond. En intégrant les quatre premiers membres que sont yama, niyama, asana et pranayama, l’élève aura passé les étapes de purification, de renforcement et de stimulation du système nerveux. Avec pratyahara, les obstacles telle que la distraction par les sens (la vue, l’odorat, l’ouïe, le goût et le toucher) s’éloignent et le pratiquant est entièrement concentré sur sa propre intériorité. Les réactions parfois inconscientes et automatiques aux stimuli sensoriels peuvent êtres repérées et dépassées. Lorsque cet état de conscience est atteint, le but ultime du yoga n’est plus une abstraction puisque l’unité avec le Soi universel devient quelque chose de tangible. La part divine contenue en tout et en chacun devient perceptible.
“Si vous regardez un mur tout en vous concentrant inlassablement sur Dieu (état de pratyahara), alors le mur se transforme en Dieu. Tout devient Dieu.“ – SRI K. PATTABHI JOIS
DHARANA : LE SIXIÈME MEMBRE
C’est le fait de pouvoir maintenir cette stabilité du mental tant recherchée. Il ne s’agit plus seulement de se concentrer, mais de tenir cette concentration lorsque la connexion avec le divin est perçue.
DHYANA : LE SEPTIÈME MEMBRE
D’après Pattabhi Jois, dhyana, la méditation n’est ni une technique ni une pratique que l’on peut décider de « faire ».
Elle est plutôt un processus de dissolution de l’ego qui approfondit et stabilise la présence divine dans nos cœurs.
La méditation est notre union avec le dieu qui réside en nous et autour de nous. Le travail des postures nous apporte déjà une bonne conscience de ce qu’est l’état de méditation, c’est une sorte de méditation externe qui intègre la respiration rythmée, les drishtis et les bandhas. Si on cherche à atteindre un état de méditation profonde, on doit pouvoir s’installer en padmasana confortablement pendant trois heures, sans douleurs ni gêne.
Cela exige bien-sûr un corps souple et vigoureux mais aussi un mental déjà établi dans le calme, tout ce qui peut s’obtenir grâce à une pratique assidue des postures.
Un mental apaisé c’est un corps solide.
SRI K. PATTABHI JOIS
SAMADHI : LE HUITIÈME ET DERNIER MEMBRE
C’est l’état mental où la concentration est si fermement installée que les pensées cessent même d’exister et disparaissent de la conscience. Le mental est entièrement absorbé par l’objet de son attention, à tel point qu’il s’unit à lui. Cet état peut aussi être appelé état d’unité (sama). C’est le plus haut stade de méditation, il résulte d’une pratique dévouée du yoga à travers chacun des huit membres précités. Les personnes qui ont fait l’expérience du samadhi expriment un état de béatitude, de joie et de complétude qui dépasse le langage. C’est une connaissance intérieure, silencieuse, comme un savoir secret qui existe au fond de nous depuis toujours, en attente d’être révélé. Quand Pattabhi Jois nous dit : « Pratiquez, le reste suivra », c’est aussi de cela qu’il parle. Si nous nous engageons sérieusement sur le chemin du yoga, pas à pas, nous nous approchons de cet état d’éveil qu’est samadhi.
Pattabhi Jois distingue deux formes de samadhi : le savikalpa samadhi et le nirvikalpa samadhi. Le premier désigne un état où il y a association avec le divin, mais sans contrôle total du mental : à l’instant où l’esprit sera distrait par les préoccupations du monde extérieur, on quittera l’état de samadhi et il faudra l’installer à nouveau. Lorsque le stade supérieur du nirvikalpa samadhi est atteint, le contrôle du mental est total et l’on est complètement libéré des six obstacles principaux qui entravent l’esprit. Dans ce type de samadhi, le prana circule pleinement et tout à fait librement au cœur du sushumna nadi (canal énergétique au centre de la colonne). On considère alors que l’étape ultime du yoga est réalisée.
Note :
D’après la philosophie yogique, les êtres humains et le monde doivent leur existence à un pouvoir supérieur qui existe en chacun et en toute chose. En Inde, ce pouvoir a des appellations multiples, selon qu’il soit ou non personnifié : Brahman, Atman, Paramatman, Ishvara, Shiva, Vishnu, Brahma, Krishna, Parvati, Durga, Lakshmi, Sarasvati, etc. Ne soyez pas trop intimidés ni impressionnés par tous les noms et concepts des dieux et divinités indiennes. Nommez pour vous-même le dieu ou le concept divin pour lequel vous sentez le plus d’affinités. Que cette énergie divine s’appelle Jésus, Bouddha, Allah, le Saint-Esprit, paix intérieure, béatitude, Soi ultime, pouvoir suprême, âme, conscience universelle, toutes les appellations sont les bienvenues puisque le yoga ne dépend d’aucun système religieux. C’est une philosophie et une discipline qui agira sur tous, sans discrimination, par son action bénéfique de purification et de renforcement du corps, et de développement de la conscience.
Le but ultime de cette « science » du yoga est bien de permettre à l’humanité d’entrer en contact avec l’énergie spirituelle universelle qui est la véritable nature de l’esprit.
Dieu apparaît lorsque le cœur s’ouvre.
SRI K. PATTABHI JOIS